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"Une algérienne parle de l'Algérie"
Interview de Cherifa Kheddar (La Marseillaise du 20/03)

Présidente d'une association algérienne, Chérifa répond aux questions d'Angélique Schaller (La Marseillaise) en
présence de R.C. et de J.J. du MRAP. Cet interview a été publié dans La Marseillaise du 20 mars.

Chenfa Kheddar est présidente de Djazaï Rouna, " Notre Algérie ". Présente à Marseille sur invitation du RAFD
Marseille (Rassemblement des Femmes Algérienne pour la Démocratie), elle a participé à l'ensemble des
manifestations organisées dans la cité phocéenne dans le cadre de La journée de la femme.
Entretien.

Pouvez-vous nous présenter votre association?
Elle a été créée le 17 octobre 1996 pour s'occuper des rescapés et des familles de victimes du terrorisme. Des 11 000
adhérents du départ il n'en reste aujourd'hui que 2500. Le gouvernement leur promettait des logements que, nous, ne
pouvions pas fournir, à la condition de quitter cette association trop ferme dans ses positions anti-islamistes et ses
critiques du gouvernement

Comment vous êtes vous positionné par rapport à la Concorde civile?
Nous considérons qu'avec cette initiative, le président Abdelaziz Bouteffika n'a fait que réintégrer les Islamistes.
Certes, au départ, la position présidentielle était celle d'une amnistie partielle, ne devant pas concerner ceux ayant
commis des crimes de sang ou des attentats contre tes établissements publics.
Mais, le 11 janvier, deux jours avant la date butoir pour la concorde civile, un décret porte la grâce amnistiante aux
terroristes. C'est un décret que nous attaquons. Mais, malgré nos siting, nous n'avons pas obtenu que le conseil
constitutionnel soit saisi.

Pourtant, un référendum a montré une population algérienne plutôt pour cette concorde civile?
Le référendum a été organisé en septembre alors que la loi était passée en juillet, ratifiée par les deux chambres.
On s'est certes gargarisé du 80% de "pour". Mais il faut préciser que ce n'est que 80% des voix exprimées et non
des inscrits. Pour exemple, dans ma ville de Blida, le taux de participation était de 18% des inscrits. Même si,
officiellement, ce taux était de 65%...

Comment estimez-vous les "résultats" de cette entreprise?
Officiellement, on annonce 6 000 repentis et on estime à quelques centaines ceux encore dans les maquis. En fait,
personne ne sait. Mais surtout, les terroristes n'ont plus besoin de se cacher puisque depuis la concorde, ils peuvent
bénéficier d'un logement, voire même d'argent.

D 'argent?
- Le quotidien El Watan a publié le 14 mars dernier un article qui explique que "Les autorités ont lancé à la fin du
mois dernier une opération d'octroi d'une aide financière au profit des terroristes repentis pour monter des projets
dans le cadre de la micro entreprise. L'opération ne serait qu'au stade de l'expérience dans la région ouest du pays".
En fait, cette "concorde" n'aura été qu'une trêve. Depuis le ramadan, les attentats et les crimes individuels ont
repris. Dans ma ville de Blida, on voit à nouveau des barbus et des femmes en foulard dans les rues. Et l'exemple
d'Enrico Macias montre bien que l'on cède à leurs exigences.
Eux, on leur obéit, on les amnistient, leur fournit de l'argent et des logements. Et nous, on nous qualifie d'empêcheur
de paix et de commerçants de sang.

C'est-à-dire?
- En avril 1997, on nous a interdit d'activité. Mais cette décision était politique alors que seul un juge peut dissoudre
une association. C'est pourquoi nous continuons.
Mais, encore aujourd'hui, dès que je m'exprime auprès de journalistes, je suis arrêtée. Ce n'est certes à chaque fois
que quelques heures, mais les pressions continuent.
Je reçois aussi des coups de téléphone des services de sécurité qui me menacent d'élimination physique. Mais j'ai eu
un revolver sur la tempe et un couteau tenu par des Islamistes sous la gorge pendant des heures. Alors, leurs
menaces ne me font plus peur. Je ne peux plus avoir peur car je suis morte le 24juin 1996.

Qu'en est-il de l'opposition citoyenne?
- Le paysage de l'opposition associative est très divers. Certaines sont dans le droit fil de la politique menée par
Bouteflika et font la promotion de la concorde civile en s'en référant à l'exemple de l'Afrique du Su~ Mais d'autres se
battent et nourrissent une véritable opposition: " Etre ", " Progrès ", " Fatma n'Soumeur " Défense et promotion ",
" Triomphe des droits de la femme "... On les a notamment entendu durant les manifestations consacrées à la femme
autour du 8 mars. C'est important car c'est un sujet, où, là encore, on peut voir à quel point le président peut faire des
concessions aux Islamistes.

Pouvez-vous développer?
- Par exemple, le 10 mars, son discours officiel indiquait, en substance, que les femmes n'étant plus enterrées
vivantes devaient s'estimer heureuses. Puis, devant des représentants de la communauté internationale, il a expliqué
qu'avant de discuter de droit, il fallait envisager la question de la femme au niveau culturel et civilisationnel !
Sans oublier, sa non reconnaissance des viols.

Sa non reconnaissance des viols?
Le problème de viols d'Algériennes par des terroristes est un problème énorme. Officiellement, le ministère de
l'Intérieur annonce 35 cas. Mais, il y a deux semaines, une enquête menée par les associations de femmes auprès
des hôpitaux, des services sociaux et de la presse a été rendue publique lors d'une journée d'étude sur " le viol, arme
de guerre ". L'estimation porte entre 3000 et 5000 cas !
A noter que, cette année, durant les manifestations autour de la journée internationale du 8 mars, de nombreuses
femmes violées ont osé témoigner racontant les viols en présence de leur mari, de leurs enfants ou d'autres hommes
comme les voisins. Cela démontre un courage certain dans un pays ou le viol est tabou et où la victime n'est pas
reconnue. Cette reconnaissance du statut de victime est un combat qui permettrait de les indemniser mais aussi de
changer de point de vue par rapport à l'avortement. Car, pour l'heure, la position est calquée sur la parole d'un lmam
égyptien ayant conclu que le viol étant perpétré par un musulman, il ne pouvait y avoir avortement ; à la différence
des cas bosniaques où les viols avaient été commis par des Chrétiens.
Dès lors, les Algériennes doivent s'en tenir à un article de la loi de 1975 qui autorise l'avortement pour de seules
raisons thérapeutiques.
Ce point est d'autant plus important que des viols se produisent encore. Sans oublier non plus les mariages de
jouissance.

Qu'est-ce que le mariage de jouissance?
Pratiqué en Iran, le mariage de jouissance était, jusqu'à peu, encore inconnu des Algériennes. Cela permet au frère
ou au père de donner une femme pour remercier quelqu'un de son combat.
Celui-ci peut en avoir la jouissance qu'il lui convient, elle peut durer quelques heures.
Cela repose sur les Hadith, sur une interprétation des paroles du prophète. Les Algériens ont été "initiés " à cela
dans l'endoctrinement dans les mosquées. Mais Soheib Ben Cheik, l'ancien grand Mufti de Marseille, s'est d'ailleurs
prononcé contre lors d'une intervention en Algérie devant des victimes du terrorisme, expliquant que le mariage de
jouissance ne pouvait plus être licite à notre époque.
Emmenées dans les maquis par le GIA au nom de ce mariage, de nombreuses femmes ont refusé de se plier mais
l'ont chèrement payé et racontent aujourd'hui les couteaux rougis au feu qu'on leur introduisait dans le vagin pour les
contraindre à écarter les jambes.

Que faisait-on des enfants?
Les femmes racontent aujourd'hui comment les femmes enceintes étaient écartelées ou comment les bébés étaient
tués devant leurs yeux après accouchement.
On mentionne aussi l'utilisation de la drogue...
Ces femmes étaient effectivement droguées à longueur de journée. Mais les terroristes aussi. On raconte que les
Islamistes ne perdaient pas leur sang lorsqu'on leur tirait dessus. En fait, c'est lié à l'usage d'une drogue importée
d'Arabie Saoudite, le Mesk, qui a comme propriété de coaguler le sang durant quelques heures.

Comment voyez-vous l'avenir?
Il y a certes eu un recul du terrorisme. Quand les patriotes ont pris les armes et que les terroristes ont dû, eux aussi,
compter leurs morts, la baisse a commencé.
Il y a aussi eu la loi de 1995 qui a beaucoup joué. La Rahma ou loi du pardon, votée par le Conseil national transitoire
sur un projet de Zéroual.
Elle était copiée sur les lois de pardon pour la mafia. Chaque terroriste se rendant pouvait bénéficier d'une diminution
de peine laissée à l'appréciation du juge car il y avait jugement. Une dizaine de terroristes se rendaient alors tous les
jours. Et puis, il y a eu les présidentielles où ont émergé de véritables discours pro-islamistes. Et depuis, il y a la
concorde civile et avec elle, un regain de terrorisme. C'est une capitulation pour tous ceux qui ont lutté durant 10 ans.